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Un modeste butin au bout de l’arc-en-ciel des accords commerciaux interprovinciaux

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Le Canada faisant face à la menace grandissante des tarifs douaniers américains, l’attention se tourne vers des occasions à l’intérieur de nos frontières. Nous observerons sans aucun doute une augmentation des échanges commerciaux sur notre territoire, alors que les consommateurs et les entreprises recherchent des produits canadiens par patriotisme et pour éviter les tarifs douaniers. Le gouvernement fédéral et les provinces visent aussi activement à réduire les obstacles au commerce intérieur – si faire du commerce avec d’autres pays est un avantage économique, ce doit être aussi le cas pour les échanges entre les provinces.

Bien que ces efforts méritent d’être salués, nous devons tous rester lucides quant à la mesure dans laquelle les avantages de la réduction des obstacles au commerce intérieur pourraient compenser le choc d’une éventuelle guerre commerciale avec les États-Unis. Après nous être penchés sur les avantages vantés et les recherches sur lesquelles ils sont fondés, nous avons des raisons de nous montrer sceptiques à l’égard de l’ampleur réelle du butin qui nous attend au bout de l’arc-en-ciel du commerce interprovincial.

Une grande partie du PIB se trouve dans les secteurs non touchés

Lorsque la question est soulevée, on entend toujours parler des mêmes problèmes et des mêmes secteurs. Pourquoi ne puis-je pas acheter du vin de la Colombie-Britannique dans ma province? Pourquoi un entrepreneur d’Ottawa ne peut-il pas soumissionner pour un projet de construction à Hull? Il s’agit peut-être là d’un indice qui laisse à penser que la liste des obstacles importants au commerce n’est pas très longue.

En examinant la répartition du PIB du Canada, il semble que la tranche touchée soit relativement mince. Par leur nature, certains services ne seront jamais étendus à toutes les provinces. Cela comprend les logements locatifs, les spectacles, les salons de coiffure, les magasins de fruits et de légumes, et ainsi de suite. À l’autre extrême, dans de nombreux secteurs des biens, on trouve des marques nationales qui s’approvisionnent auprès d’installations centralisées ayant des parts de marché dominantes, ce qui laisse entendre que les obstacles interprovinciaux doivent être relativement mineurs. Prenez l’exemple de l’assemblage automobile, du matériel de défense, du papier mouchoir ou des frites surgelées.

Les échanges transfrontaliers sont possibles pour certains services, que ce soit en se déplaçant pour les offrir ou en les rendant accessibles en ligne. On déplore souvent qu’ils présentent des obstacles liés aux exigences de permis, ce qui est en effet problématique. Mais même lorsque c’est le cas, il existe parfois des solutions de rechange. Les employés de grandes sociétés d’ingénierie, par exemple, peuvent détenir des permis dans plus d’une province.

Évaluer l’ampleur des obstacles

Cela dit, même si une grande partie de l’économie n’est pas touchée, la libéralisation du commerce interprovincial – l’élimination ou la réduction des obstacles existants – pourrait entraîner des gains importants. Diverses études ont soutenu que les obstacles non géographiques équivalaient à des tarifs douaniers de 7 % à 20 % à l’échelle des provinces, et que l’élimination de tous les obstacles au commerce pourrait faire croître le PIB de façon impressionnante, soit de 4 % à 7 % à long terme. Pour mettre les choses en contexte, notre récente étude sur l’incidence des tarifs douaniers américains de 25 % sur l’économie canadienne a évalué la perte de PIB à 4 % ou 5 %, ce qui correspond également au pourcentage de perte de PIB lors de la crise financière de 2008-2009.

Toutefois, il est difficile d’estimer ces répercussions. Il n’existe pas de liste complète de tous les obstacles, et même si c’était le cas, les répercussions de chaque obstacle devraient faire l’objet d’une étude séparée.

Par conséquent, les économistes utilisent généralement des méthodes indirectes pour estimer l’ampleur de tous ces obstacles d’un seul coup. Les rapports les plus cités sur les obstacles interprovinciaux au Canada ont été rédigés par Trevor Tombe et divers coauteurs (voir Manucha et Tombe, 2022; et Alvarez et al., 2019). Ces études sont axées sur ce que les économistes appellent l’équation de gravité. Cette approche tente d’expliquer les flux d’échanges commerciaux en utilisant le poids économique des partenaires commerciaux et la distance qui les sépare. Les auteurs tentent de tenir compte de quelques autres facteurs, et la partie inexpliquée par le modèle est attribuée aux obstacles liés aux politiques.

Tout semble cohérent en théorie, mais dans la pratique, cette méthode comporte des défis, et les résultats ne sont pas intuitifs. Les obstacles les plus importants au commerce touchent surtout les services comme les hôtels, les restaurants, les services publics, l’éducation et la santé. Cela reflète la nature problématique d’inclure des entreprises locales et souvent non commercialisables dans ces modèles. Même en 2015 – dernière année des données de l’une des études – il semblait assez facile de réserver une chambre d’hôtel dans une autre province en ligne ou par téléphone.

Par conséquent, les obstacles dans le secteur des services sont considérablement surévalués, les estimations d’équivalents tarifaires étant de 30 % à 50 % dans certaines de ces études. Il n’est donc pas surprenant que les tarifs douaniers du secteur des biens soient beaucoup plus bas, variant de 10 % à 20 %, probablement parce que l’équation de gravité classique explique mieux ce type de commerce.

Toutefois, même dans le secteur des biens, la méthodologie est problématique. Dans certaines études, les entreprises d’un secteur donné sont présumées être semblables, mis à part leur emplacement. Une usine d’équipement en Ontario fabrique le même type de produit qu’une autre à l’Île-du-Prince-Édouard. Selon ces modèles, de l’équipement, c’est de l’équipement. Le gravier provenant de l’Ontario et les diamants provenant des Territoires du Nord-Ouest sont tous deux des produits issus de l’« exploitation minière », même si l’un d’eux est clairement plus facile à transporter que l’autre. Il semble douteux que trois des quatre provinces les plus grandes et les plus urbanisées du Canada soient celles qui connaissent le moins d’obstacles, tandis que les provinces plus petites et moins urbanisées sont celles qui en subissent le plus les effets.

La mesure de la « distance pondérée en fonction de la population » pose également d’importants problèmes pour saisir les obstacles géographiques. Dans l’une des études, qui traite entre autres de commerce international, les États-Unis sont un point unique sur la carte placé à son centre de population (le Missouri), ce qui crée une distance considérable jusqu’en Colombie-Britannique, même si cette province est plus près de la population massive de la Californie qu’elle ne l’est de l’Ontario. Une note de bas de page reconnaît cet enjeu, mais aucun avertissement n’a été ajouté à la page 1 pour les lecteurs moins avisés.

Quelle est la taille du butin lié au PIB?

Si mesurer l’ampleur des obstacles sous forme d’équivalents tarifaires semble difficile, il l’est encore plus de prendre les résultats comme point de départ pour évaluer les gains découlant d’un assouplissement.

Cette spectaculaire augmentation du PIB de 4 % à 7 % dans ces études reflète non seulement une conversion surévaluée des obstacles au commerce intérieur en leur équivalent tarifaire, mais laisse aussi entrevoir des suppositions suspectes au sujet de l’élasticité des obstacles commerciaux, c’est-à-dire à quel point un changement donné dans les obstacles commerciaux se traduit par des variations du PIB. Pour le secteur des biens, l’élasticité est tirée d’une autre étude qui se penche sur les effets de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) et la façon dont les tendances commerciales combinées des États-Unis, du Mexique et du Canada changent à mesure que les prix à l’importation et à l’exportation changent (Caliendo et Parro, 2015). Pour le secteur des services, lorsque vous suivez le labyrinthe des citations, il devient évident que l’élasticité de 5 est une estimation au pif fondée sur aucune donnée canadienne (Costinot et Rodriguez-Clare, 2014; Caliendo et Parro, 2010). Donc, aucune de ces valeurs sur l’élasticité des obstacles au commerce ne reflète le contexte canadien, où les ressources naturelles dominent, les distances sont très importantes et les coûts de transport sont très élevés. De plus, elles illustrent en fait l’incidence des variations des prix sur le PIB, plutôt que l’incidence des changements dans les règles.

En supposant qu’une élasticité légèrement inférieure – ce que laissent entendre les données de l’étude en question ci-dessous – se traduirait par des gains beaucoup plus faibles, les avantages de la libéralisation du commerce intérieur seraient limités à une augmentation de 1 % du PIB à long terme, plutôt qu’à une croissance de 4 %, comme les auteurs aiment le dire (graphique 1). Ce résultat demeure positif et mérite qu’on prenne des mesures pour l’atteindre, mais il est loin d’être la solution à tous nos problèmes commerciaux.

Graphique 1 : Les gains du PIB découlant de l’élimination des obstacles au commerce pourraient être beaucoup moins importants selon des hypothèses plus réalistes d’élasticité des échanges

Graphique 1 : Selon des hypothèses plus réalistes, les gains du PIB découlant de l’élimination des obstacles au commerce pourraient être moins élevés.
Source : Alvarez et al. (2019); calculs de la Banque CIBC. Remarque : Les élasticités coût-échanges dans ce graphique sont exprimées par 1/θ, θ étant le paramètre coûts-échanges utilisé dans Alvarez et al. (2019).

Les véritables obstacles sont la distance et la taille du marché

Les exportations interprovinciales ont été plutôt stables pendant la majeure partie des 30 dernières années – représentant autour de 20 % du PIB – tandis que les exportations internationales ont suivi un cycle d’expansion et de repli en raison de l’ALENA, de l’émergence de la Chine et d’autres chocs mondiaux (graphique 2). Toutefois, depuis la crise financière, l’écart entre les deux est d’environ 10 à 15 points de pourcentage du PIB. L’Ontario, le Québec et la Colombie-Britannique ont une part relativement faible des exportations de biens au sein du Canada (5 % à 10 %), tandis que les provinces des Prairies, le Canada atlantique et l’Alberta ont une part plus élevée de leur économie consacrée au commerce interprovincial (graphique 3).

Graphique 2 : Le commerce interprovincial est stable depuis trois décennies, représentant près de 20 % du PIB.

Graphique 2 : Le commerce interprovincial représente autour de 20 % du PIB depuis les années 1990.
Source : Statistique Canada, Banque CIBC.

Graphique 3 : Les grandes provinces commercent disproportionnellement plus avec les États-Unis qu’avec le Canada.

Graphique 3 : Presque toutes les provinces font plus de commerce de biens avec les États-Unis qu’avec le Canada.
Source : Statistique Canada, Banque CIBC.

Pourquoi est-ce le cas? Pour commencer, les marchés au sud de la frontière sont généralement beaucoup plus importants que ceux des provinces avec lesquelles une province donnée fait du commerce (graphique 4). En moyenne, le PIB moyen pondéré lié aux partenaires commerciaux américains des provinces est près de 2,5 fois plus élevé que celui lié à leurs partenaires commerciaux interprovinciaux – et en Ontario, l’écart est près de quatre fois plus élevé.

L’autre élément important de cette équation est que les États-Unis sont plus près du centre de nos économies (graphique 5). Contrairement à certaines études qui considèrent la distance jusqu’aux États-Unis comme étant la distance jusqu’au Missouri, nous mesurons la distance entre chaque capital provincial et les capitales de leurs partenaires commerciaux interprovinciaux et américains, en faisant la moyenne des distances en fonction des parts commerciales. Pour l’Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec, soit plus de 70 % du PIB du Canada, leurs partenaires commerciaux américains sont aussi proches ou plus proches que leurs partenaires commerciaux interprovinciaux. Pour l’Ontario, ses principaux partenaires commerciaux américains sont près de 50 % plus proche, soit une distance moyenne de 972 kilomètres plus proche. Les usines ontariennes expédient leurs produits au Michigan, dans l’État de New York et en Ohio, plus qu’au Missouri.

Graphique 4 : La taille des marchés américains avec lesquels les provinces font du commerce est en moyenne près de 2,5 fois plus élevée que celle des marchés interprovinciaux.

Graphique 4 : Les marchés américains avec lesquels les provinces font du commerce sont beaucoup plus importants que les marchés intérieurs.
Source : Industrie Canada, Bureau of Economic Analysis, Statistique Canada, calculs de la Banque CIBC

Graphique 5 : Pour la plupart des grandes provinces du Canada, leurs partenaires commerciaux américains sont aussi proches ou plus proches que leurs partenaires provinciaux.

Graphique 5 : Pour la plupart des grandes provinces, en particulier l’Ontario, les États-Unis sont plus près que le reste du Canada.
Source : Google Maps, Industrie Canada, Statistique Canada, calculs de la Banque CIBC

Dans une récente enquête de Statistique Canada sur le commerce interprovincial, les entreprises mentionnent la distance et les coûts liés au transport, ainsi qu’un manque de demande comme étant des entraves beaucoup plus importantes au commerce interprovincial que les obstacles au commerce érigés (graphique 6). Les obstacles au commerce représentent environ 10 % des raisons pour lesquelles elles ne font pas de commerce dans d’autres provinces, en comparaison à la distance et au transport, qui avoisinent les 40 %, et à l’absence de demande, qui représente environ 20 % des raisons mentionnées. Ces données tranchent nettement avec les estimations dans Alvarez et al. (2019), qui attribuent environ 40 % du total des obstacles au commerce à des obstacles non géographiques.

Graphique 6 : Les entreprises mentionnent le transport et la distance comme principales entraves au commerce interprovincial, et non les obstacles au commerce

Graphique 6 : Les entreprises mentionnent le transport ou la distance comme le plus grand obstacle au commerce interprovincial.
Source : Google Maps, Industrie Canada, Bureau of Economic Analysis, Statistique Canada, calculs de la Banque CIBC. Remarque : Cette mesure est une variation de l’équation de gravité classique : Exportations(i,j) = [GDP(i)^α * GDP(j)^β] / Distance(i,j)^ζ, représentant les échanges entre les économies i et j. Nous supposons que α, β et ζ sont égales à 1 (Chaney, 2011).

Lorsque nous regroupons tous les éléments et comparons les exportations de biens interprovinciales aux exportations de biens aux États-Unis en fonction de la taille de leur marché respectif et de leur distance moyenne – l’équation de gravité classique – la santé du commerce interprovincial ne semble pas si mauvaise (graphique 7). Après correction pour tenir compte de la distance et de la taille des marchés, à l’exception de Terre-Neuve-et-Labrador, de la Saskatchewan et de l’Alberta – où le commerce des matières premières domine – le commerce interprovincial semble comparable au commerce vers les États-Unis, ou meilleur que celui-ci. Il ne semble donc pas y avoir un travail colossal à faire à l’échelle nationale, si nous ne tenons pas compte des obstacles non géographiques.

Graphique 7 : La santé du commerce interprovincial est aussi bonne ou meilleure que celle du commerce du Canada avec les États-Unis, compte tenu de la taille du marché et de la distance.

Graphique 7 : Compte tenu de la taille du marché et de la distance, il ne semble pas y avoir un travail colossal à faire en ce qui a trait au commerce interprovincial.
Source : Google Maps, Industrie Canada, Bureau of Economic Analysis, Statistique Canada, calculs de la Banque CIBC. Remarque : Cette mesure est une variation de l’équation de gravité classique : Exportations(i,j) = [GDP(i)^α * GDP(j)^β] / Distance(i,j)^ζ, représentant les échanges entre les économies i et j. Nous supposons que α, β et ζ sont égales à 1 (Chaney, 2011).

Une amélioration du commerce intérieur et une fin à la guerre commerciale

Cela dit, l’élimination des obstacles au commerce interprovincial est indéniablement une étape positive, et les efforts en cours méritent d’être soulignés. Toutefois, nous ne devrions pas conclure à la légère que ces changements de règles compenseront les pertes découlant d’un conflit prolongé avec les États-Unis. Probablement qu’aucun butin important ne nous attend après la ratification d’un nouvel accord sur le commerce intérieur.

En effet, les gains qui seraient réalisés pourraient être davantage attribuables au fait que le secteur des affaires au Canada redoublerait d’efforts pour repérer des marchés intérieurs si leurs exportations étaient perturbées, et que les consommateurs, les entreprises et les gouvernements canadiens rechercheraient des produits locaux par patriotisme ou pour éviter des représailles tarifaires sur les importations américaines. Nous applaudissons les efforts en cours en ce sens. Toutefois, compte tenu de la taille relative du marché et des occasions limitées, nous réitérons la nécessité d’un effort diplomatique concerté pour mettre fin dès que possible à une guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis.

Contributeurs

Avery Shenfeld

Économiste en chef

Marchés des capitaux CIBC

Ali Jaffery

Économiste principal

Banque CIBC