Projections de croissance de la population – est-ce que nous répétons les erreurs du passé?

La croissance démographique est censée être l’une des variables économiques les plus faciles à prévoir. Il suffit de maintenir la tendance. De toute évidence, ce n’est pas le cas au Canada, car les récents changements apportés aux politiques d’immigration ont considérablement modifié la trajectoire de la croissance. La bonne nouvelle, c’est que la croissance insoutenable observée en 2023 s’affaiblit considérablement. La mauvaise nouvelle, c’est que la projection actuelle de Statistique Canada selon laquelle la population n’augmentera pratiquement pas au cours des deux prochaines années est probablement erronée. En termes simples, les projections et les objectifs en matière d’immigration présentés au Parlement sont irréalistes compte tenu des tendances historiques. La croissance réelle au cours des prochaines années devrait être nettement plus forte que prévu. En plus de fausser les statistiques comme le PIB par habitant ou la croissance de la productivité, le sous-dénombrement de la population canadienne peut aggraver la pénurie de logements qui est la principale cause de la crise du logement abordable au pays. Par le passé, nous avons affirmé que la crise du logement de la dernière décennie était, à bien des égards, un problème de planification, car le sous-dénombrement de la croissance démographique (en grande partie en raison des changements apportés aux politiques d’immigration) a entraîné une augmentation sous-optimale de l’offre de logements. Nous craignons d’être en train de répéter les erreurs du passé.
La situation actuelle
Les choses avancent enfin dans la bonne direction. Les estimations trimestrielles de la population de Statistique Canada révèlent que la population du Canada a atteint 41 528 680 personnes le 1er janvier 2025, soit une augmentation annuelle de 744 324 personnes et un taux de croissance de 1,8 %. Cependant, la population n’a augmenté que de 63 382 au dernier trimestre, pour un taux de croissance de 0,2 %. Il s’agit de la poursuite d’une tendance à la baisse qui a commencé après le sommet atteint au troisième trimestre de 2023 (+1,1 %). La croissance a été tirée presque exclusivement par les migrations internationales, qui représentaient 97,3 % de la croissance en 2024.
Les 3 020 936 résidents non permanents (RNP) dénombrés le 1er janvier 2025 représentaient 7,3 % de la population totale, en légère baisse par rapport aux 3 049 277 RNP (7,4 %) du trimestre précédent. Il y a eu 28 341 RNP de moins le 1er janvier 2025 qu’au trimestre précédent.
Au quatrième trimestre, la diminution du nombre de personnes détenant seulement un permis d’études (-32 643) a été atténuée par le nombre croissant de demandeurs d’asile, de personnes protégées et de groupes connexes (+25 774), qui a augmenté pour le douzième trimestre consécutif et atteint un nouveau sommet de 457 285 personnes.
L’enjeu
Statistique Canada prévoit officiellement une croissance de la population de 0,3 % en 2025, suivie d’une croissance négative de 0,2 % en 2026. Nous croyons que ces projections sont trop faibles en raison de deux facteurs, soit la surestimation du nombre de RNP quittant le pays et le sous-dénombrement des demandeurs d’asile et des « autres ».
Commençons par le surcomptage des RNP. Le texte narratif de Statistique Canada sur la population trimestrielle fait référence aux « résidents non permanents du pays ». Toutefois, Statistique Canada ne mesure pas (encore) les départs et les sorties du Canada. Ils comptent plutôt les permis expirés des titulaires de visa qui sont ensuite expulsés de la population résidente (dans les 120 jours suivant l’expiration).
Par conséquent, l’expiration des visas d’étudiant et de travailleur temporaire ne se traduit pas par une diminution comparable de la population. Les objectifs officiels en matière d’immigration et de population, ainsi que les projections démographiques de Statistique Canada, n’en tiennent pas compte. Ce qui est décrit dans les déclarations officielles du Canada comme des « sorties » de population, ce sont en fait des « titulaires de visa expirés », dont bon nombre demeurent au Canada et conservent leur emploi longtemps après l’expiration de leur visa. Bien que certains RNP acquièrent le statut de résident permanent, une plus grande partie des sorties qui demeurent avec le statut d’Immigration Canada en attendant la délivrance de nouveaux visas, un statut non reconnu par Statistique Canada dans la détermination de la population de « résidents ».
Cette base démographique suppose une « sortie » de 745 306 NPR en 2024, contre 469 407 en 2023 et 408 722 en 2022. Quant à 2025 et 2026, les projections officielles prévoient des sorties de 1,26 million et 1,1 million respectivement, ce qui représente une grosse commande.
Combien de ces titulaires de visa expirés sont toujours résidents du Canada? Dans le cadre de recherches antérieures, nous avons estimé ce chiffre à près d’un million, la grande majorité étant des titulaires de visa temporaire arrivés légalement au Canada il y a une génération (ou deux). L’ancien ministre de l’Immigration, M. Miller, a estimé le nombre à plus de 600 000 au début de 2024, lorsque le ministre a proposé de régulariser le statut de certains d’entre eux au Cabinet.
Bien que les sorties présumées comprennent la transition vers la résidence permanente, les projections du gouvernement ne réduisent pas les entrées de résidents permanents par ceux qui sont déjà résidents du Canada. Bien que la proportion de résidents permanents qui avaient déjà la résidence temporaire au Canada ait atteint 50 % par le passé, une proportion croissante de nouveaux résidents permanents ont été approuvés après l’expiration de leur visa ou ont reçu un visa de résident temporaire (VRT). Ces personnes n’auraient pas été incluses dans les estimations démographiques de Statistique Canada. Une partie de la population de titulaires de visa expirés qui restent au Canada revient graduellement dans les catégories d’entrée au cours d’un certain nombre d’années. Statistiquement, ils auraient tous le même impact que les nouveaux arrivants.
De plus, jusqu’à l’adoption d’une nouvelle loi modifiant les critères et les procédures d’octroi de l’asile et pouvant être maintenues par des contestations judiciaires inévitables, le gouvernement du Canada a un contrôle limité sur le nombre de demandeurs d’asile provenant du Canada. Les entrées considérées comme une « réserve pour éventualités » dans les objectifs d’immigration du gouvernement ne tiennent pas compte des changements géopolitiques qui ont une incidence sur les demandes d’asile.
Fait important, Statistique Canada ne compte pas les VRT prolongés (pas les permis de travail), les considérant comme des « visiteurs ». Par le passé, Immigration Canada délivrait des VRT à des visiteurs qui avaient une raison valable de prolonger leur séjour, habituellement au-delà de six mois. De plus en plus, des VRT sont délivrés à des résidents temporaires de longue durée qui détiennent un visa d’étudiant ou de travailleur (expirant) et qui attendent le renouvellement de leur demande de résidence permanente ou une décision à cet égard. Certaines demandes prennent des années à traiter.
Les données du ministère de l’Immigration montrent que le nombre de demandes de fiche de visiteur reçues a doublé, passant de 196 965 en 2019 à 389 254 en 2024. Le taux de refus se situait autour de 5 p. 100. L’an dernier, 321 277 résidents temporaires ont obtenu une prolongation, ce qui représente une légère baisse par rapport aux 333 672 de 2023.
Encore une fois, les titulaires d’un visa de résident temporaire ne font pas partie des estimations démographiques de Statistique Canada.
Par conséquent, pour obtenir une projection plus réaliste de la croissance de la population, il est nécessaire d’ajuster les estimations officielles actuelles en réduisant les projections de sortie (puisque de nombreux RNP restent après l’expiration de leur visa), et en supposant le nombre de demandeurs d’asile et de personnes ayant des motifs d’ordre humanitaire. les permis se rapprochent du nombre réel que nous avons vu en 2024. Nous avons supposé de façon prudente que les sorties de RNP sont de 65 % du niveau présumé par les projections officielles et que le nombre de demandeurs d’asile au Canada en 2025 sera de près de 200 000.
Sur la base de ces deux ajustements, nous prévoyons que la croissance de la population en 2025 sera de 1,1 %, suivie d’une croissance de 1 % en 2026 – plus forte que les 0,3 % et négative de 0,2 % actuellement projetés officiellement. Si nous rajoutons la prolongation du visa de résident temporaire à la population de base, la croissance pourrait atteindre 2,3 % en 2025 et 1,3 % en 2026.
Fait important, sans ces ajustements, la croissance de la population officielle sera toujours inférieure aux chiffres que nous prévoyons (la seule source de surprise étant les demandeurs d’asile et les permis d’ordre humanitaire). Ce que nous disons, c’est que ces ajustements sont nécessaires pour avoir une idée plus réaliste de la croissance démographique du pays. Après tout, les prévisions officielles servent à planifier le logement, les services et l’infrastructure communautaire. Les gouvernements et les promoteurs ne construisent pas pour des populations qui ne sont pas prévues. L’exclusion de nombreux sous-ensembles de personnes vivant et travaillant au Canada de la population officielle, comme c’est le cas aujourd’hui, entraîne une planification sous-optimale.
Note : Cet article a été rédigé avec l’aide de Integrated Trade and Economics.
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