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L’avenir de l’IA, selon le passé

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Il existe une question à laquelle même ChatGPT ne peut répondre : quel est l’avenir de l’intelligence artificielle? Le futurisme technologique est truffé de prédictions qui se révéleront largement fausses. En 1977, le chef de la direction de DEC, qui était alors une société informatique de premier plan, a déclaré que « personne ne voudrait jamais d’un ordinateur à la maison ». D’autres ont été beaucoup trop optimistes ou n’ont toujours pas été satisfaits et se demandent où se trouvent les voitures volantes et l’énergie de fusion. Bien qu’il soit difficile de prédire comment évoluera l’IA, l’histoire pourrait offrir des leçons aux investisseurs et aux économistes si elle venait à se répéter.

Tout d’abord, dans la plupart des cas, les conséquences économiques d’une nouvelle technologie ont pris beaucoup de temps à se manifester. Le célèbre lauréat du prix Nobel d’économie Robert Solow a souligné en 1987 que « l’ère de l’informatique est omniprésente, sauf dans les statistiques sur la productivité ». Souvent, la première innovation, soit l’ordinateur, nécessite des dépenses d’investissement subséquentes et d’autres innovations avant de vraiment prospérer. Lorsque M. Solow a fait cette déclaration, les sociétés achetaient leur premier ordinateur de bureau, les logiciels étaient difficiles à utiliser pour les non-spécialistes et les ordinateurs d’entreprise n’ont été connectés à l’Internet qu’au milieu de la décennie suivante. Il y a eu une autre longue période d’attente entre l’adoption d’Internet et l’utilisation répandue des rencontres virtuelles d’aujourd’hui.

Ce délai nous a amenés à douter de certaines prévisions largement diffusées concernant la hausse du PIB attribuable à l’IA. Par exemple, selon une étude de PWC, l’IA devrait être derrière une hausse de 15 % du PIB réel de l’Amérique du Nord d’ici 2030. Cela supposerait une accélération annualisée d’environ 2 %, c’est-à-dire un doublement de la croissance tendancielle, et nécessiterait une expansion beaucoup plus rapide de la technologie que ce que nous avons vu à l’aube des ordinateurs ou d’Internet.

Ensuite, nous voudrions mettre en garde les investisseurs boursiers et leur expliquer que l’avantage d’être le premier arrivé n’est souvent pas aussi bien qu’il en a l’air. Cela a été le cas pour les feuilles de calcul (pour ceux qui se souviennent de Visicalc et de Lotus 1-2-3), les moteurs de recherche (Lycos, Altavista), les navigateurs (Netscape), les ordinateurs de bureau (Xerox, Altair) et les téléphones cellulaires (BlackBerry, Nokia). Fernando Suarez et Gianvito Lanzolla (Harvard Bus Rev., 2005) ont constaté que les pionniers n’obtiennent généralement pas un avantage durable lorsque le marché et la technologie se développent rapidement. Cette théorie pourrait bien caractériser le cheminement des biens et services liés à l’IA, alors choisissez avec soin vos titres en vogue dans ce secteur.

Une partie du risque est liée à la possibilité que quelque chose d’encore mieux entre sur le marché et supplante les types d’application d’IA qui sont à l’étude actuellement. Dans le monde de la technologie, il existe un cimetière de produits autrefois dominants, et de sociétés connexes, qui ont été mis de côté au profit d’un meilleur appareil. Les téléphones cellulaires, les navigateurs et les ordinateurs de bureau sont encore utilisés, mais le marché des télécopieurs, des processeurs de texte ou les lecteurs de CD n’est plus très vigoureux de nos jours.

D’autres prévisions à l’égard de l’IA portent sur les répercussions pour les travailleurs et les carrières. Selon une étude du FMI, 60 % des emplois dans les économies avancées seront touchés par l’IA, séparés à parts égales entre les emplois où l’IA aidera à améliorer la productivité des travailleurs et ceux où les travailleurs seront entièrement remplacés par des outils d’IA.

Toutefois, l’histoire montre que cela a toujours été le cas en ce qui concerne la technologie et que nous ne devrions pas avoir peur d’atteindre un taux de chômage de 30 %. Les changements technologiques ont fait en sorte qu’un grand nombre de travailleurs se sont tournés des exploitations agricoles vers les secteurs industriels, ce qui a réduit les besoins en main-d’œuvre du secteur manufacturier. Cependant, ces changements ont libéré la main-d’œuvre nécessaire pour que le secteur des services devienne le secteur d’emploi important qu’il est aujourd’hui. Les banques ont beaucoup moins de caissiers, mais des produits plus complexes qui ne pourraient exister sans des investissements dans les technologies ont permis de compenser la création d’emplois dans des postes à plus forte valeur ajoutée et mieux rémunérés.

Dans les années 1970, l’immeuble de bureaux type était rempli de services de dactylographie et de commis au classement dont les emplois ont disparu lorsque les gens se sont mis à utiliser des ordinateurs de bureau pour taper leurs propres rapports et que les classeurs ont été remplacés par des documents électroniques. Songez cependant à tous les emplois de cols blancs qui ont été créés à l’époque de l’Internet : gestionnaires de médias sociaux, concepteurs Web, influenceurs sur TikTok, analystes de données et ainsi de suite. Au Canada, le taux de chômage a atteint un creux de plusieurs décennies au début de 2023, même sans tous les emplois que diverses technologies ont remplacés au fil du temps.

De plus, nous aurons toujours besoin d’économistes, même si un système d’intelligence artificielle pourrait résumer le rapport sur les salaires d’aujourd’hui. Ce commentaire n’a pas été rédigé par ChatGPT; certains d’entre nous aiment encore penser par eux-mêmes.

Contributeurs

Avery Shenfeld

Économiste en chef

Banque CIBC