Bâtir pour les locataires : un élément négligé de la stratégie canadienne en matière de logement

Le Canada se classe parmi les marchés du logement les moins abordables au monde. Pour s’attaquer à ce problème, il faut une réponse coordonnée des constructeurs, des décideurs politiques et des autres parties prenantes clés. Pour y parvenir, il faut un ensemble complet de solutions – notamment l’expansion du logement locatif construit à cette fin – alors qu’un plus grand nombre de Canadiens se tournent vers la location.
Le secteur locatif est « celui qui sert tout le monde », affirme Michael Owen, associé chez Mondev, un promoteur immobilier établi à Montréal.
« L’acquisition d’une propriété est devenue tellement difficile que la location est en quelque sorte la seule option qui reste pour une grande partie de la population », dit M. Owen.
Il y a des signes que le Canada est en train de devenir une nation de locataires. Le nombre de ménages locataires a augmenté plus de deux fois plus rapidement (21,5 %) que le nombre de ménages propriétaires (8,4 %) entre 2011 et 2021, selon Statistique Canada. La demande de logements locatifs s’est accélérée de 2022 à 2024, à mesure que la crise du logement s’aggravait. Pour les locataires d’aujourd’hui, cela se traduit par un faible taux de logements vacants, des loyers élevés—et aucune amélioration en vue.
Actuellement, les coûts élevés de construction et les redevances gouvernementales à l’aménagement agissent comme des freins au lancement de nouveaux projets, rendant difficile pour les promoteurs d’entamer des travaux au moment même où il faudrait accélérer le rythme. M. Owen fait remarquer qu’à Montréal, l’augmentation des coûts accessoires comme les frais de location de rue pendant la construction, les frais de permis et les frais de demande de changement de zonage alourdissent considérablement la facture des projets, ce qui décourage la construction et réduit l’abordabilité.
« La réalité, c’est que personne ne va construire si ce n’est pas rentable », explique le fondateur de Mondev, David Owen.
Les obstacles à la construction
Bien que l’expansion de l’offre de logements soit clairement une priorité nationale, la transformation de cette priorité en logements réels s’avère une tâche beaucoup plus complexe.
De nombreux secteurs, comme l’agriculture et le secteur manufacturier, ont connu du succès grâce à l’automatisation et à la numérisation. Le marché du logement, cependant, présente un ensemble de défis différents, qui sont locaux, fortement réglementés et qui comportent de nombreux coûts fixes. Les approches novatrices comme les logements modulaires ont un rôle à jouer pour atténuer certains segments de la crise du logement — en particulier les maisons unifamiliales, les maisons en rangée multifamiliales et certaines composantes modulaires de grande hauteur — mais la construction entièrement modulaire et à grande taille est encore loin.
Adrian Rocca, président-directeur général de Fitzrovia, une entreprise de Toronto qui développe et gère des immeubles locatifs spécialisés, fait remarquer que les marges très minces font en sorte qu’il est de plus en plus difficile d’attirer des capitaux d’investisseurs, ce qui constitue un obstacle important au lancement de nouveaux projets.
« Les marges sont serrées pour les développeurs, dit M. Rocca. Pour qu’il soit justifiable d’investir dans un projet de développement et de lancer la construction, il faut qu’il y ait une certaine marge de profit. Autrement, aucune personne sensée ne prendra le risque de commencer les travaux. »
Les longs délais représentent également un défi de taille. Il estime que, même si un nouveau projet de logements locatifs est prêt à être lancé immédiatement et que le processus est accéléré, il faudra encore environ quatre ans pour le mener à terme.
Lorsque les projets arrivent finalement sur le marché, les prix sont trop souvent hors de portée pour de nombreux locataires éventuels en raison de la hausse des coûts de construction et des coûts connexes du gouvernement ainsi que des taux d’intérêt plus élevés. À Montréal, Michael Owen estime que le coût de base de l’aménagement d’une unité familiale de trois chambres à coucher est « probablement de 700 000 $ ou 800 000 $ ».
« C’est pour une maison familiale très simple — le terrain, la main-d’œuvre à coût réel, les intérêts à coût modique et ensuite les impôts — je ne gagne pas un sou sur ce chiffre », dit-il. « Si c’est le véritable coût que le promoteur investit au départ, combien de jeunes familles peuvent payer le loyer que nous devrons demander? »
C’est pourquoi, comme il l’a dit, « la crise du logement est une crise d’abordabilité ».
L’appel à l’élimination des frais imposés par le gouvernement
Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement fédéral, les promoteurs ont hâte de voir si le Canada peut aller de l’avant avec la nécessité de construire rapidement. De plus en plus de voix s’élèvent pour demander au gouvernement d’éliminer certains des obstacles financiers au développement.
M. Rocca explique : « Si vous regardez le total des coûts de développement, environ 30 % sont constitués de redevances et de frais gouvernementaux. Nous demandons aux trois ordres de gouvernement de renoncer d’abord et avant tout à ces redevances d’aménagement et à tous les frais et redevances municipaux. »
Le gouvernement pourrait aussi stimuler le développement en offrant un allégement de l’impôt foncier pour aider à compenser les coûts associés aux nouvelles constructions, dit-il, et en donnant à un plus grand nombre de constructeurs l’accès au financement à faible coût pour la construction de logements locatifs dans le cadre du Programme de prêts pour la construction d’appartements de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).
Une autre proposition intéressante serait que les trois ordres de gouvernement introduisent des obligations d’infrastructure afin de mobiliser de nouveaux capitaux qui demeurent jusqu’ici en marge.
«C’est la chose la plus facile que le gouvernement devrait pouvoir faire, c’est-à-dire faire appel à d’autres formes de capital, qu’il s’agisse de capital privé, de capital de détail, de capital à valeur nette très élevée ou de capital institutionnel», dit M. Rocca. « Cela pourrait changer la donne. »
Dans le même ordre d’idées, David Owen a laissé entendre que si le gouvernement offrait aux promoteurs des incitatifs directs à la construction, cela changerait l’équation. Il propose que l’octroi de 175 000 $ par logement abordable à des constructeurs du secteur privé — comme c’est le cas pour les constructeurs sans but lucratif — pourrait déclencher un boom de la construction.
« S’ils nous donnaient 175 000 $ par unité, nous pourrions livrer ces unités à un prix abordable. Je peux vous le dire, vous verriez des grues partout. »
Faire de la location un mode de vie
Bien que les Canadiens sont depuis longtemps très attachés à l’accession à la propriété, Fitzrovia construit des propriétés qui, selon M. Rocca, changeront les mentalités.
« Je pense qu’il y a une stigmatisation négative entourant la location qui doit changer avec le temps. C’est ce que nous essayons de faire, en proposant des logements qui bousculent le marché. »
Fitzrovia réfléchit de façon critique aux besoins croissants des locataires de Toronto et à ce qui les convaincra de s’établir et de devenir des locataires à long terme.
M. Rocca explique comment ils ont fait un appel audacieux pour offrir des centres d’éducation de la petite enfance internes et s’associer à la Clinique Cleveland du Canada pour offrir l’accès à des soins de santé virtuels. Ces types de services sont particulièrement attrayants pour les familles ayant de jeunes enfants et les nouveaux immigrants qui n’ont pas accès à l’Assurance-santé de l’Ontario (OHIP) ou à un médecin de famille. Les bâtiments offrent également des commodités dignes des hôtels et des activités comme les fêtes estivales au bord de la piscine et des soirées de visionnement des Raptors, contribuant ainsi à promouvoir un mode de vie attrayant et à offrir une valeur ajoutée, compte tenu des loyers plus élevés d’aujourd’hui.
« Nous voulons vraiment créer un fort sentiment d’appartenance à la communauté, affirme M. Rocca. Nous aimerions vraiment avoir des résidents à long terme, des personnes qui passent directement de notre logement étudiant à notre communauté de retraités. »
La crise pourrait atteindre de nouveaux sommets
Sur la trajectoire actuelle, la pénurie de logements va s’aggraver avant de s’améliorer.
Selon les dernières prévisions de la SCHL, pour améliorer l’abordabilité, les mises en chantier doivent presque doubler pour atteindre entre 430 000 et 480 000 unités par année jusqu’en 2035 afin de répondre à la demande prévue.
Cependant, à Toronto, les mises en chantier sont en baisse de 70 à 90 % dans les locaux loués spécialement conçus à cette fin, selon M. Rocca. Un tel ralentissement aura bientôt des conséquences importantes.
Premièrement, il aggravera la pénurie, ce qui fera augmenter les prix. Deuxièmement, il pourrait être encore plus difficile de corriger le tir en raison d’une pénurie croissante de main-d’œuvre dans le secteur de la construction.
Selon M. Rocca, en raison du ralentissement actuel de la construction, plusieurs quittent l’industrie pour trouver du travail ailleurs. Il craint qu’ils ne reviennent pas.
« Ce qui me préoccupe le plus, c’est que lorsque le marché reprendra de la vigueur, nous n’aurons pas le bassin de talents nécessaire pour relancer nos activités », explique M. Rocca.
Lorsque les logements atteignent des niveaux inabordables, toute la région en souffre. Dans un nouveau sondage de CivicAction, 29 % des répondants de la région du Grand Toronto et de Hamilton ont déclaré consacrer plus de 50 % de leur revenu au logement. Il s’agit d’une situation insoutenable qui pourrait pousser la classe moyenne du Canada – pensons aux infirmières, aux enseignants, aux gens de métier – à s’éloigner des régions urbaines qui ont besoin de leurs services.
Les promoteurs, les décideurs et les autres intervenants du Canada doivent agir rapidement pour stimuler l’offre de nouvelles options de location, parce que plus le statu quo perdure, plus la situation s’aggrave.
« Chaque jour qui passe sans que nous construisions de nouveaux logements ne fait qu’aggraver le problème », affirme M. Rocca.
Financement immobilier
L’équipe de la Banque CIBC se compose de professionnels de l’immobilier chevronnés ayant des compétences touchant une gamme de catégories d’actif et qui peuvent vous aider à trouver la solution qui vous convient le mieux.
Pour en savoir plus
Tim Samis
Premier vice-président, Financement immobilier
Groupe entreprises CIBC
